Thomas Salvador est l'invité de Rafael Wolf, Vertigo, RTS . . « Le pas banal Thomas Salvador fait du cinéma avec son corps. S’il joue dans ses propres films, c’est pour mieux les porter sur son dos, ses épaules, ses bras, ses jambes. En mouvement, ne faire qu’un avec son movie, partager avec lui ses caractéristiques, dont les plus importantes, évidentes, émouvantes, sont l’agilité et la maladresse – les leçons de Buster Keaton. Alpiniste et acrobate avant d’être cinéaste, Salvador fait pour nos yeux ce qu’il aime et sait faire. Dans la Montagne, il joue un homme qui abandonne soudain sa vie pour s’établir dans la mer de Glace, sur les hauteurs de Chamonix, et gravir un nouveau départ. Pierre refuse de redescendre, cherche quelque chose, ne sait pas quoi – le personnage cherche sa vie, le cinéaste cherche son film, les deux réunis en un même corps, sous ses couches de vêtements techniques. Les deux se trouveront, au sommet. Il y a toute une érotique Décathlon dans ce film qui se déshabille, qui est un trajet vers la nudité, une conquête de la légèreté par la grimpe, se délestant du superflu, pour mieux le retrouver à la fin. Il y a donc une histoire d’amour (c’est par amour qu’on se dévêt mieux), tout en haut du téléphérique, avec cette cheffe cuisinière jouée par Louise Bourgoin, admirable. L’image, un amour culinaire, ne fait pas un pli, puisqu’il s’agit effectivement de retrouver le goût de vivre, en un mot de se restaurer. D’ici là, avant cette chaleur, il faudra en être passé par toute la chaîne du froid, devenir glaçon, rocher, minéral, parvenir au cœur de pierre (prénom transparent du héros) de la matière, pour se refaire un corps plus doux. Il y a, la cruauté en moins, du Cronenberg chez Salvador, une passion de l’organique et de l’inorganique, leurs échanges, leur identité. Mais à l’inverse des contrefaçons du grand Canadien qui hantent le récent cinéma français, sa vraie fidélité à Cronenberg passe par une éthique commune : un dégoût radical, physique, pour les fantasmes de toute-puissance. Grand sujet du cinéma «fantastique» quand il est digne de ce nom, ce dont la Montagne se montre. » Luc Chessel, Libération