« En Chine populaire, le concept de Sixième génération continue à s'étendre. Diplômé de l'Institut de cinéma de Pékin, Jia Zhangke produisit son premier film, Xiao Wu, artisan pickpcoket (1998) en indépendant, grâce à une petite compagnie de Hong Kong (ce pour quoi il se fit réprimander par le Bureau du cinéma) ? Le film peut se lire comme un commentaire ironique sur la genèse de la Cinquième génération, puisqu'il fut tourné dans la province du Shaanxi, où, en 1984, Chen Kaige avait tourné Terre jaune, dans la petite ville natale du cinéaste. Mais en quinze ans, bien de l'eau a coulé dans le Yangtze, et ce qui hante le paysage de Xiao Wu, ce ne sont pas les souvenirs de la Guerre de libération, ni de la Révolution Culturelle, mais l'avance chaotique, dans les coins les plus reculés de la Chine, du capitalisme. Comme Terre jaune, Xiao Wu est au fond l'histoire d'un homme et d'une femme, l'homme toujours impuissant, et la femme victime des forces sociales. L'un des signes les plus tristement visibles de l'ouverture de la Chine au libéralisme, c'est le retour de la prostitution - en particulier sous la forme des bars de karaoké où les hommes d'affaires vont se détendre, boire, pousser la chansonnette, et se faire servir par de jeunes « hôtesses ». Pickpocket de profession, Xiao Wu est un voyou à l'ancienne, qui, à la façon des héros de John Woo, croit au code de l'honneur chez les gangsters, et les flics du coin le respectent. Mais la ville change, et un de ses anciens complices, devenu homme d'affaires avec pignon sur rue (même si cela implique la contrebande de cigarettes et la gestion d'un bar de karaoké), refuse de l'inviter à son mariage. Rejeté par ses amis et sa famille, Xiao Wu se retrouve même sans endroit où coucher et se réfugie dans un établissement de bains, où, au cours d'une très belle scène, il se déshabille et contemple son corps nu, symbole de sa solitude et de son aliénation. Il ébauche une liaison difficile avec Mei Mei, une petite hôtesse de karaoké un peu mythomane qui rêve de devenir actrice, mais la belle disparaît, embarquée par un riche client contrairement à l'héroïne de Terre jaune, elle a réussi sa fuite, mais pour quelle servitude nouvelle ? Dérouté, Xiao Wu perd la main, et, trahi par la sonnerie du pager que Mei Mei lui avait donné, se fait prendre la main dans le sac. Un policier le menotte à un poteau en pleine rue. Le dernier plan, d'une longueur suffocante (et sans contre-champ) montre la foule des passants le regardant fixement. Jia tourna principalement avec des non-professionnels (des habitants de sa ville), pour exprimer, au-delà du dilemme moral et des ambiguïtés de Xiao Wu la crise d'une « société dysfonctionnelle, où nous cherchons dans la solitude un substitut à la dignité. »
Bérénice Reynaud, Nouvelles Chines, Nouveaux cinémas (Editions Cahiers du Cinéma)